L’eau, la vraie urgence climatique avant le CO²
Longtemps ignorée dans les politiques climatiques, l’eau s’impose comme une urgence majeure. L’économiste Esther Crauser-Delbourg alerte sur cette ressource vitale, invisible dans nos prix mais essentielle à l’économie et au climat.
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L’eau avant le CO₂
Longtemps reléguée au rang de ressource acquise, l’eau revient aujourd’hui au centre des débats environnementaux et économiques. Invitée par la Banque Populaire du Sud lors de sa soirée "Agir pour l'eau" l'économiste de l’eau et fondatrice du cabinet WaterWiser, Esther Crauser-Delbourg porte un message clair : la transition écologique ne pourra aboutir si la question de l’eau reste traitée comme un sujet secondaire. Selon elle, il est même urgent de revoir l’ordre des priorités.
« L’eau et le CO₂ n’ont pas le même statut », explique-t-elle. « Le CO₂ est une externalité : si on en émet trop, le climat se dérègle, mais on peut continuer à produire et à vivre. L’eau, c’est une ressource. Sans eau, on ne peut plus rien faire. »
Depuis plus de dix ans, la lutte contre le réchauffement climatique s’est concentrée sur la réduction des émissions de carbone. Un combat indispensable, mais incomplet. Car l’eau conditionne aussi la réussite des scénarios climatiques eux-mêmes. Les sols et les écosystèmes, présentés comme des alliés majeurs dans la capture du CO₂, ne peuvent jouer ce rôle sans humidité suffisante.
« Un sol sec ne capte plus de CO₂ », rappelle Esther Crauser-Delbourg. « Si on ne sait pas remettre de l’eau dans les sols et recréer des micro-cycles de l’eau, les scénarios du GIEC ne pourront pas se réaliser. »
Autrement dit, traiter le carbone sans traiter l’eau revient à fragiliser les fondations mêmes de la transition écologique.
Cette eau invisible que nous consommons chaque jour
Autre idée reçue largement déconstruite par l’économiste : la majorité de l’eau que nous utilisons ne sort pas de nos robinets. À l’échelle mondiale, près de 90 % de l’eau prélevée sert à produire des biens économiques. L’agriculture représente environ 70 % de ces usages, l’industrie près de 20 %. L’eau domestique, celle que nous buvons ou utilisons pour l’hygiène, ne pèse qu’une part marginale.
Cette réalité s’explique par le concept d’eau virtuelle. Derrière chaque produit consommé se cache une quantité d’eau mobilisée pour sa production. « Chaque jour, nous mangeons virtuellement l’eau d’une dizaine de pays », souligne Esther Crauser-Delbourg. Le café du matin, les vêtements en coton, la sauce tomate ou les fruits importés sont autant de vecteurs de cette eau invisible.
Le problème n’est pas tant l’existence de cette empreinte que son invisibilité économique. Aujourd’hui, le prix d’un produit ne reflète ni la rareté locale de l’eau utilisée, ni la pression exercée sur les ressources du territoire de production. « Quand vous achetez un avocat à 2,50 €, à aucun moment le prix ne prend en compte la rareté de l’eau là où il a été produit », constate-t-elle.
Cette déconnexion empêche d’arbitrer collectivement sur les usages : utiliser l’eau au bon endroit, au bon moment et pour le bon usage. Elle rend aussi les chaînes d’approvisionnement vulnérables face aux tensions hydriques croissantes.
Empreinte eau : comprendre plutôt que culpabiliser
Face à ces constats, la tentation est grande de culpabiliser le consommateur. Une approche que récuse fermement Esther Crauser-Delbourg. L’empreinte eau, contrairement à l’empreinte carbone, n’est pas un indicateur moral. « On ne peut rien faire sans eau », rappelle-t-elle. La question n’est donc pas de supprimer l’empreinte, mais de savoir quel type d’eau est utilisé et si cette utilisation met d’autres territoires ou populations en difficulté.
L’exemple du bœuf illustre bien cette nuance. Un kilo de bœuf affiche une empreinte eau élevée, de l’ordre de plusieurs milliers de litres. Mais dans le cas de la viande française, l’immense majorité de cette eau est de l’eau de pluie, qui ne met pas de pression sur les réseaux. « 95 % de l’empreinte eau d’un bœuf français, c’est de l’eau de pluie », précise-t-elle.
Ne pas compter cette eau reviendrait pourtant à se priver d’un outil d’anticipation. Si la pluie venait à manquer, comme dans certains territoires déjà sous tension, cette eau devrait être remplacée par de l’irrigation. Sans mesure préalable, impossible de prévoir, d’investir ou d’accompagner les agriculteurs.
À l’inverse, certains usages concentrent les critiques. La fast fashion, par exemple, mobilise d’importantes quantités d’eau pour le coton, souvent dans des régions déjà en stress hydrique, pour produire des vêtements de faible qualité et à faible durée de vie. « C’est comme si on jetait littéralement de l’eau par les fenêtres », résume l’économiste.
Le message est clair : comprendre l’origine et le risque associé à son empreinte eau permet d’agir de façon éclairée, sans renoncer au confort ni au plaisir de consommer.
Des solutions déjà là, sans attendre une technologie miracle
Malgré la gravité du diagnostic, le discours d’Esther Crauser-Delbourg se veut résolument tourné vers l’action. Contrairement au carbone, le sujet de l’eau ne nécessite pas d’attendre des innovations coûteuses ou lointaines. « Tout est déjà à notre disposition aujourd’hui », affirme-t-elle.
À l’échelle domestique, des gestes simples permettent de réduire la consommation sans altérer le confort : pommeaux de douche plus performants, réduction du temps sous la douche, double chasse d’eau, utilisation raisonnée du lave-vaisselle. Ces réflexes existent déjà pour l’électricité, parce que son prix est connu et visible. L’eau, moins chère, reste encore sous-estimée.
Mais l’essentiel des gains se situe ailleurs. « Le gros de l’eau qu’on peut éviter se joue au niveau de l’agriculture et de l’industrie », insiste l’économiste. Réutilisation des eaux grises, récupération de l’eau de pluie, boucles fermées industrielles, nettoyage et recyclage de l’eau sur site : les solutions sont nombreuses et opérationnelles.
Le principal frein n’est ni technique ni financier, mais organisationnel. Ces innovations existent, portées par de nombreuses entreprises et start-up, mais peinent encore à être déployées à grande échelle. La prise de conscience récente, accélérée par les épisodes de canicule et de sécheresse, laisse toutefois entrevoir une évolution rapide dans les années à venir.
« On a de la chance », conclut Esther Crauser-Delbourg. « Contrairement au carbone, le sujet de l’eau est réalisable, pas cher et déjà là. »
Replacer l’eau au cœur des décisions économiques, comprendre sa valeur réelle et investir dans la sobriété apparaît désormais comme une condition indispensable pour préserver nos modes de vie et nos activités. Une évidence longtemps ignorée, qui s’impose aujourd’hui avec urgence.
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Passionné d'animation depuis l'âge de 14 ans, a pris les commandes de la matinale d'RTS à seulement 19 ans, poste qu'il a occupé pendant 13 ans. Après des études de sciences économiques à Montpellier, il occupe plusieurs postes chez RTS, devenant successivement responsable d'antenne, animateur, responsable technique. Aujourd'hui directeur général de la radio et de la régie publicitaire RTS Communication, il est également directeur de publication, avec une spécialisation dans l'actualité high-tech, économique et environnementale. Secteurs préviligiés : High-Tech, IA, Economique, Environnement
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