Joachim Garraud : 40 ans de beats et d'idées solaires

Compositeur, producteur, DJ, pionnier techno, bidouilleur de génie, mentor... Joachim Garraud incarne une trajectoire unique dans le paysage musical français et international. De la radio pirate nantaise aux scènes de Central Park, en passant par les studios parisiens de la French Touch et un bus-studio solaire sillonnant la Californie, son parcours retrace l’évolution d’une passion vécue au rythme des révolutions technologiques et des rencontres humaines. Rencontre avec un pionnier passionné, de retour en France pour un concert exceptionnel à Saint-Gervais, dans le Gard, le 7 juin.

Joachim Garraud

Du lycée à la scène : la passion comme moteur

Tout commence au lycée Carcouët de Nantes. Joachim Garraud y monte une radio pirate baptisée « Radio Fantasy », bricolée avec un émetteur et une antenne sur le toit du gymnase. « La radio, c’était du partage en direct. Ce que j’aime encore aujourd’hui », résume-t-il. À 14 ans, il enchaîne les petits boulots pour financer sa première disco mobile. À 15 ans déjà, il anime des soirées avec ses propres vinyles.

La musique, il la découvre seul, d’abord par les disques de ses parents : Jean-Michel Jarre, Art Tatum, Sidney Bechet, Dave Brubeck. Puis il développe ses propres goûts, influencés par la funk, le jazz, le classique (Chopin, Bach, Satie), mais aussi les débuts de la house et de la techno : Farley Jackmaster Funk, Depeche Mode, The Cure, Kraftwerk. Cette ouverture nourrit une culture musicale solide et variée qui ne cessera de le guider.

A 17 ans il est repéré par NRJ Nantes, qui lui propose d'animer une émission nocturne. Puis il continuera son expérience d'animateur et producteur pour plusieurs stations locales, dont Radio Nantes, Skyrock Nantes et Fun Nantes,  jusqu'en 1989 ou il intègre l'équipe de la radio Maxximum à Paris.

 

De la radio Maxximum à la scène techno : une vie d’adaptation

Quand on demande à Joachim Garraud comment il a traversé les transformations de la musique électronique depuis 1989, sa réponse est simple : il les a vécues « au jour le jour ». Il n’a jamais vraiment intellectualisé l’évolution, préférant suivre son instinct, ses envies, et les outils technologiques qui se sont peu à peu imposés. Du piano au home studio mobile, de la bande magnétique à l’édition Dolby Atmos, Joachim Garraud est resté fidèle à un seul principe : produire du son.

Il raconte ses débuts à Paris, à la mythique radio Maximum, où il découvre la techno. « Je me suis dit : c’est exactement ce que j’aime. Je veux être DJ techno ». À partir de là, il se spécialise, achète ses vinyles importé de Belgique ou des États-Unis, puis joue dans les premiers clubs parisiens qui s’ouvrent à la musique électronique comme le Boy. Mais très vite, il bifurque vers la production, délaisse les platines entre 1994 et 2000, et devient l’un des artisans majeurs de la French Touch, épaulant Bob Sinclar, David Guetta ou Cassius dans son studio de la rue de Rivoli.

Le déclic pour remonter sur scène viendra avec l’arrivée des platines CD pioneer et des possibilités nouvelles qu’elles offrent : boucles, remixes en direct, synchronisation vidéo. Il crée alors un show hybride, à la frontière du concert et du DJ set, dans lequel il joue d’instruments en direct. C’est dans cette période qu’il lance un concept qui deviendra iconique : les Space Invaders.

Les Space Invaders : une communauté avant les réseaux

En 2002, Joachim Garraud fait un choix radical : ne pas afficher son visage en affiches ou flyers. À la place, il adopte le symbole d’un alien issu des jeux vidéo des années 80. « Pas de race, pas de religion, pas de sexe. Juste la musique électronique », résume-t-il.

Autour de ce logo naît une communauté fidèle, active, connectée via un forum bien avant l’avènement des réseaux sociaux.

Il y partage conseils, méthodes, et surtout son enthousiasme. Plusieurs artistes de la nouvelle scène électronique française, comme Joris Delacroix ou Arno Cost, témoignent aujourd’hui de l’influence décisive qu’a eue Joachim  sur leur parcours. Il revendique fièrement ce rôle de passeur : « Peut-être ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir allumé des étincelles chez certains, leur avoir donné envie d’aller au bout de leur passion ».

Ce rôle de mentor prend une dimension inédite en 2024 avec l’album Joachim Garraud & Friends, un projet collaboratif réunissant 300 musiciens amateurs, dont 40 sont devenus co-compositeurs enregistrés à la SACEM. Un album double, pressé en vinyle, né de sessions hebdomadaires en visio. Un manifeste DIY et collectif à l’image de son créateur.

 

 

Technologie, innovation et passion geek

Qu’il s’agisse de radio pirate ou de spectacles immersifs, Garraud est un innovateur. Lorsqu’un outil n’existe pas, il le conçoit. Sa collaboration avec Pioneer, au début des années 2000, illustre bien cette philosophie. « Je voulais une table avec des filtres intégrés. On m’a dit que ça n’existait pas. J’ai proposé l’idée. Résultat : la DJM 800 est née, devenue la table numéro un dans le monde ». Cette coopération directe avec Hiroshi Kawaguchi et Gen Inoshita, dirigeants de Pioneer au Japon, n’avait jusqu’ici jamais été racontée en détail.

Il développe également un plugin permettant de synchroniser timecode et éclairage DMX. « C’est geek, mais utile. Je ne l’ai pas créé que pour moi, mais pour tous les DJs qui veulent produire des shows complets ». Cette obsession pour l’innovation se retrouve dans ses collaborations avec des marques comme Focal, L-Acoustics ou dans l’usage du son Dolby Atmos sur son prochain album.

Mais le projet le plus emblématique de cet esprit pionnier reste sans doute le bus Good Vibe, un studio mobile autonome fonctionnant à l’énergie solaire. Transformé pendant la pandémie à partir d’un camping-car de 9 tonnes, il embarque 30 m² de traitement acoustique Kilamat et un système son haute fidélité. Il permet d’enregistrer dans des lieux atypiques  désert, bord de mer, montagne , favorisant une inspiration nomade. « La lumière, le paysage, le lieu influencent la musique. Ce studio me permet d’aller chercher ces énergies-là ».

De cette aventure solaire est né un documentaire de 39 minutes, à mi-chemin entre film musical, carnet de voyage et manifeste écologique. Tourné dans les paysages les plus spectaculaires de Californie  désert du Nevada, montagnes enneigées, plages du Pacifique , il retrace l’élan créatif permis par ce studio mobile autonome. « L’énergie du lieu transforme la musique. Composer face à l’océan ou au milieu du désert, ce n’est pas la même vibration », explique-t-il.

Le documentaire a été présenté dans plusieurs festivals internationaux, notamment à Los Angeles, ou il a reçu une reconnaissance inattendue : le prix du meilleur film musical dans la catégorie court-métrage. « Je ne suis pas réalisateur. J’ai monté ce film avec des amis, des drones, une caméra, comme un projet passion. Me retrouver en compétition avec des professionnels, face à des productions ultra léchées, et recevoir un prix… c’était dingue. Une immense fierté. Un peu David contre Goliath », confie-t-il.

Le film reste volontairement absent des plateformes. « Je le garde pour les festivals. Ce n’est pas un contenu de clics, c’est une expérience. Il doit être vu dans une salle, projeté, partagé. Comme un concert ». Une manière de préserver l’intimité et la portée sensorielle de ce projet atypique  comme un prolongement du bus lui-même, loin des standards et des algorithmes.

 

Un livre, des archives et une mémoire vivante

À la fin de l’année 2025, Joachim Garraud publiera son autobiographie, un ouvrage de 450 pages retraçant quatre décennies de carrière. « J’ai tout mis dans ce livre : la radio pirate, les studios, les concerts, les rencontres », confie-t-il. Illustré de QR codes menant vers des archives exclusives, le livre recèle des pépites, dont un morceau inédit co-produit avec Laurent Garnier sous le nom « The Frog », pressé à seulement dix exemplaires vinyle à l’époque. Tous les bénéfices seront reversés à la recherche contre le cancer, en hommage à son ami Fred Riester. Le livre est déjà en précommande sur son site officiel.

Le rendez-vous de Saint-Gervais : techno, chapelle et cloche

Ce 7 juin, Joachim Garraud sera sur scène dans le Gard, au Domaine de Naste pour le El Sueno Festival. Devant une ancienne chapelle, il partagera la scène avec Alice April, Oliver Sax, Balta et Maddy Jay. « Venez, on va faire une fête incroyable », résume-t-il en une phrase. Il promet un show sur mesure, influencé par le lieu et ses sonorités : « Tu m’as donné une bonne idée, je vais démarrer avec une cloche de la chapelle ».

À 55 ans, Joachim Garraud continue de surprendre, d’innover, de transmettre. Et de jouer. Toujours avec l’enthousiasme du gamin qui montait des radios pirates à Nantes.

 

Publié : 14 mai 2025 à 9h26 par

Passionné d'animation depuis l'âge de 14 ans, a pris les commandes de la matinale d'RTS à seulement 19 ans, poste qu'il a occupé pendant 13 ans. Après des études de sciences économiques à Montpellier, il occupe plusieurs postes chez RTS, devenant successivement responsable d'antenne, animateur, responsable technique. Aujourd'hui directeur général de la radio et de la régie publicitaire RTS Communication, il est également directeur de publication, avec une spécialisation dans l'actualité high-tech, économique et environnementale. Secteurs préviligiés : High-Tech, IA, Economique, Environnement